Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/371

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prête à effacer à si bon marché les espérances humaines. Le monde revêtirait pour elle une tristesse nouvelle, comme un désert dont les charmes d’un magicien n’auraient fait un jardin que pour un instant. Dans cette initiation à la douleur de l’amour déçu, elle sentait que pour nul autre homme désormais elle ne pourrait plus élever de ces délicieuses et aériennes constructions imaginaires, comme celles qui l’avaient enchantée pendant ces six derniers mois. La pauvre Rosemonde en perdit l’appétit ; elle se sentait abandonnée comme Ariane, une charmante Ariane de comédie, délaissée sur la route, avec toutes ses malles remplies de toilettes, et sans espoir de trouver un fiacre.

Il y a, de par le monde, différentes mixtures merveilleuses qui sont toutes également appelées amour, et réclament le privilège des sublimes transports, excuse (dans la littérature et au théâtre) de tous les actes possibles. Rosemonde ne songea, heureusement, à commettre aucun acte de désespoir ; elle lissa ses cheveux blonds aussi admirablement que de coutume et garda un calme plein de fierté. Ce qu’elle pouvait supposer de moins pénible en ce moment, c’était une intervention quelconque de sa tante Bulstrode en vue d’empêcher les visites de Lydgate : tout valait mieux que de l’indifférence de sa part. Tous ceux qui s’imaginent que dix jours sont un laps de temps trop court, non pas pour tomber dans l’amaigrissement, le dépérissement ou autres effets palpables de la passion, mais pour parcourir tout le cercle spirituel des conjectures, des alarmes et de la déception, ceux-là ignorent ce qui peut se passer dans les loisirs élégants de l’âme d’une jeune lady.

Le onzième jour pourtant, lorsque Lydgate quitta Stone-Court, mistress Vincy le pria de faire savoir à son mari qu’il s’était produit un changement marqué dans l’état de M. Featherstone, et qu’elle l’engageait à venir à Stone-Court le jour même. Lydgate aurait pu aller trouver M. Vincy à