Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/442

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ce premier sentiment d’intimité avec un homme qui, malgré sa supériorité d’intelligence, paraissait disposé cependant à se laisser guider par elle. La pauvre Dorothée, avant son mariage, n’avait jamais trouvé dans l’esprit des autres beaucoup de place pour les sentiments qu’elle avait le plus à cœur d’exprimer ; elle n’avait pas non plus, nous le savons, joui autant qu’elle l’avait espéré de la science supérieure de son mari. Si elle témoignait avec quelque animation de son intérêt pour un sujet, M. Casaubon l’écoutait d’un air résigné, comme si elle lui avait lu une citation du Delectus, qui lui était familier depuis sa plus tendre enfance ; quelquefois, il lui citait brièvement d’anciennes sectes ou d’anciens personnages qui avaient eu les mêmes idées, comme s’il en existait déjà trop de cette espèce ; d’autres fois, il l’avertissait qu’elle était dans l’erreur et affirmait le point que sa remarque avait mis en doute.

Will Ladislaw, au contraire, semblait toujours voir beaucoup plus de choses dans ses paroles qu’elle n’en voyait elle-même. Dorothée avait bien peu de vanité, mais elle avait ce besoin ardent de la femme d’exercer sa douce influence, en faisant la joie d’une autre âme. Aussi la chance seule de voir Will occasionnellement, était comme une lucarne percée dans le mur de sa prison, lui donnant un aperçu du dehors ensoleillé ; et ce plaisir ne tarda pas à dissiper l’alarme qu’elle avait conçue d’abord de ce que pourrait penser son mari, en voyant Will devenir l’hôte de son oncle. M. Casaubon n’en avait pas soufflé mot.

Mais Will désirait voir Dorothée en particulier, et il attendait impatiemment la plus petite circonstance qui pourrait le lui permettre. Si courts que fussent les entretien terrestres de Dante avec Béatrix, ou de Laure avec Pétrarque, le temps change la proportion des choses, et, de nos jours, mieux vaut moins de sonnets et un peu plus d’entrevues. Will s’avisa enfin qu’il avait besoin de faire une cer-