Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/444

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forcé à rentrer. Sans quoi, je ne vous aurais pas dérangée d’aussi bonne heure. Je croyais M. Casaubon chez lui et je sais qu’à cette heure-ci il n’aime pas les interruptions.

— C’est à la pluie alors que je suis redevable. Je suis si contente de vous voir ! Dorothée prononça ces mots si simples, avec la sincérité naïve d’un enfant malheureux qu’on vient visiter à sa pension.

— Au vrai, je venais pour avoir la chance de vous voir seule, dit Will qu’une puissance mystérieuse contraignait à se montrer aussi sincère qu’elle-même. J’avais le désir de causer avec vous comme à Rome. Ce n’est pas la même chose quand il y a d’autres personnes.

— Non, dit Dorothée, en l’approuvant de sa voix claire et fraîche. Asseyez-vous.

Elle s’assit elle-même sur une ottomane de couleur foncée, les livres sombres derrière elle, et, dans sa simple robe de laine blanche, sans autre ornement que son anneau de mariage, on eût pu croire qu’elle avait fait le vœu de ne ressembler à aucune autre femme ; Will s’assit à une petite distance en face d’elle ; la lumière tombait sur ses boucles soyeuses et sur son profil délicat, auquel la courbe de sa lèvre et la forme de son menton donnaient quelque chose de hardi et de provocant. Ils se regardaient l’un l’autre comme deux fleurs qu’un même instant aurait fait éclore en ce lieu. Dorothée oublia l’irritation énigmatique de son mari contre Will : c’était comme de l’eau fraîche à ses lèvres altérées, de pouvoir parler sans crainte à la seule personne chez qui ses sentiments eussent trouvé de l’écho ; regardant en arrière, dans sa tristesse, elle s’exagérait la consolation qu’il lui avait déjà apportée dans le passé.

— J’ai souvent pensé que j’aimerais à causer encore avec vous. Que de choses je vous ai dites, j’en suis toujours étonnée !

— Je me les rappelle toutes, dit Will dont l’âme se rem-