Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/46

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— Sir James s’imaginer que je l’aime ! Mais c’est offensant de t’entendre dire cela ! d’ailleurs aimer ne peut exprimer le sentiment que je prétends avoir pour l’homme que j’épouserai.

— Eh bien, j’en suis peinée pour sir James. J’ai pensé qu’il serait bien de t’avertir afin que tu n’ailles pas comme tu fais toujours, sans regarder où tu marches. Tu vois toujours ce que les autres ne voient pas ; il est impossible de te satisfaire et pourtant ce qui est évident pour tous t’échappe toujours ; c’est ton habitude, Dodo.

Qu’est-ce qui donnait à Célia le courage de parler ainsi à la sœur qui la tenait habituellement en respect ? Mais qui peut dire toutes les justes critiques que fait peut-être à part lui le Chat Murr sur nous autres créatures supérieures ?

— C’est très fâcheux, dit Dorothée, subitement attristée. Je ne pourrai plus m’occuper de ces nouvelles chaumières. Il faudra être impolie avec sir James et lui dire que je ne veux plus rien avoir à faire avec tout cela. C’est bien pénible !

Ses yeux se remplirent encore de larmes.

— Attends encore un peu, penses-y bien. Tu sais qu’il va aller voir sa sœur pendant un jour ou deux.

Célia ne pouvait s’empêcher de s’attendrir.

— Pauvre Dodo, continua-t-elle de son aimable petite voix rythmée, c’est très dur, en effet. C’est ton dada favori, de dessiner des plans.

— Un dada !… crois-tu donc que ce soit par fantaisie puérile que je m’occupe de l’habitation de mes semblables ? Je puis très bien commettre des méprises. Comment jamais accomplir œuvre noble et chrétienne au milieu de gens qui n’ont que de futiles préoccupations !

Elles n’en dirent pas davantage. Dorothée était trop froissée pour retrouver son sang-froid et pour témoigner qu’elle reconnaissait son erreur. Elle accusait l’étroitesse intolérable et l’aveuglement de la société qui l’entourait.