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Célia ne lui semblait plus un éternel chérubin, mais une véritable épine dans son cœur, un de ces lutins blancs et roses pires que des monstres. « Un dada de dessiner des plans ! » Qu’était-ce donc que la vie ? quelle foi conserver si tout s’écroulait misérablement ainsi ?

Ses joues étaient pâles et ses yeux rouges quand elle descendit de voiture, ses traits empreints d’une profonde tristesse : et son oncle, qui la rencontra dans le vestibule, s’en serait alarmé si Célia ne s’était montrée à côté d’elle avec son air si calme et si gracieux, qu’il rattacha les larmes de Dorothée à son excessive piété. Il était revenu en leur absence d’un voyage au chef-lieu de la province où il avait été présenter une pétition en faveur d’un condamné.

— Eh bien, mes chéries, dit-il tendrement, tandis qu’elles l’embrassaient, j’espère que rien de désagréable ne vous est arrivé pendant mon absence.

— Non, mon oncle, dit Célia, nous avons été à Freshitt voir les nouvelles bâtisses. Nous pensions que vous seriez de retour pour le déjeuner.

— J’ai été déjeuner à Lowick, en passant ; vous ne saviez pas que je reviendrais par Lowick. J’ai rapporte deux brochures pour vous, Dorothée ; elles sont dans la bibliothèque, sur la table.

On eut dit qu’un courant électrique traversait le cœur de Dorothée, la portant en un instant du désespoir à l’espérance. C’étaient des brochures sur la primitive Église. L’oppression que venaient de lui causer Célia, Tantripp, sir James, fut comme oubliée ; et, pendant que Célia montait à sa chambre elle courut à la bibliothèque, ou M. Brooke la retrouva bientôt après, assise et tout absorbée dans une brochure qui portait en marge quelques notes de la main de M. Casaubon. Elle en aspirait le contenu avec autant d’avidité qu’elle eût aspiré le parfum d’un frais bouquet après une course aride et fatigante.