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Il y avait quelque chose d’horrible pour Dorothée dans le sentiment que lui infligeait cette dureté imméritée. C’est le plus souvent de cette façon plate et banale que les semences de joie sont pour toujours gaspillées et perdues, jusqu’à l’heure où hommes et femmes contemplent d’un œil hagard les ravages produits par leur faute, et s’écrient : « La terre ne porte plus de moissons de bonheur. » — Et ils croient que c’est savoir que de renier ainsi. — Et pourquoi, demanderez-vous, cette attitude chez M. Casaubon ? Considérez que son cœur était de ceux qui fuient la pitié. Avez-vous jamais observé l’effet que produit dans un tel cœur le soupçon que le chagrin, qui pèse sur lui, peut être en réalité une source de satisfaction dans le présent ou dans l’avenir pour l’être qui l’offense déjà par sa seule pitié. Il ne connaissait guère non plus les sentiments de Dorothée, et il n’avait pas réfléchi qu’en pareille circonstance, la force en était comparable à celle de ses propres sentiments vis-à-vis des critiques de Carp.

Dorothée ne retira pas son bras, mais elle n’eut pas le courage de parler. M. Casaubon ne dit pas : « Je désire être seul », mais il dirigea silencieusement ses pas vers la maison, et en entrant par la porte vitrée de la façade de l’est, Dorothée retira son bras et s’attarda sur le seuil, afin de laisser son mari tout à fait libre. Il entra dans la bibliothèque et s’y enferma seul avec son chagrin.

Elle monta à son petit salon. Le bow-window ouvert laissait entrer la lumière sereine de cet après-midi éclairant l’avenue où se projetaient les ombres allongées des tilleuls. Mais Dorothée ne vit rien de ce spectacle. Elle se jeta sur une chaise exposée en plein aux rayons éblouissants du soleil ; si elle éprouva, à son insu, quelque malaise, comment en aurait-elle cherché la cause ailleurs que dans sa misère intérieure ?

Elle subissait la réaction d’une colère plus terrible qu’elle