Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/81

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tout d’être importune au lieu d’être utile ; mais ce n’était pas uniquement par dévouement à son futur époux qu’elle désirait apprendre le grec et le latin : ces domaines de la science masculine lui semblaient un point d’appui d’où l’on pouvait mieux embrasser la vérité de toutes choses. Sentant son ignorance, elle était portée à douter constamment de la justesse de ses conclusions, comme elle en était venue maintenant à douter que les pauvres petites chaumières de ses rêves fussent pour la gloire de Dieu, puisque des hommes instruits dans les classiques semblaient concilier l’indifférence pour les chaumières du pauvre avec le zèle pour la gloire de Dieu. L’hébreu même pourrait lui être nécessaire ou tout au moins l’alphabet et quelques racines, pour arriver à connaître le fond des choses et à juger sainement des devoirs sociaux du chrétien : elle n’avait pas encore atteint ce degré de renoncement où elle se fût tenue pour satisfaite d’avoir un mari sage et éclairé ; elle prétendait devenir sage et éclairée elle-même.

Miss Brooke était bien naïve, la pauvre enfant, avec toute son apparence de sagesse. Célia, dont l’esprit n’avait jamais été considéré comme très puissant, voyait beaucoup plus vite le vide que cachaient souvent les prétentions des autres.

Cependant M. Casaubon consentait à écouter et à enseigner une heure de suite comme un véritable maître d’école ou plutôt comme un amoureux auquel l’ignorance élémentaire et les difficultés de sa maîtresse semblent un touchant à-propos. Peu de savants eussent trouvé déplaisant d’enseigner l’alphabet dans de telles conditions. Mais Dorothée était un peu froissée et découragée de sa stupidité, et les réponses qu’elle recevait à de timides questions sur la valeur des accents en grec, lui donnaient le soupçon attristant qu’il pouvait bien y avoir là des secrets trop au-dessus de la raison féminine.

Quant à M. Brooke, il n’avait aucun doute à cet égard, et