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LES ROUGON-MACQUART.

du vacarme croissant de la vaisselle. Pour chasser l’odeur de la nourriture, la buée chaude qui montait des cinq cents couverts débandés, on avait ouvert les fenêtres, dont les stores baissés étaient brûlants du lourd soleil d’août. Des souffles ardents venaient de la rue, des reflets d’or jaunissaient le plafond, baignaient d’une lumière rousse les convives en nage.

— S’il est permis de vous enfermer un dimanche, par un temps pareil ! répéta Favier.

Cette réflexion ramena ces messieurs à l’inventaire. L’année était superbe. Et l’on en vint aux appointements, aux augmentations, l’éternel sujet, la question passionnante qui les secouait tous. Il en était chaque fois de même les jours de volaille, une surexcitation se déclarait, le bruit finissait par être insupportable. Quand les garçons apportèrent les artichauts à l’huile, on ne s’entendait plus. L’inspecteur de service avait l’ordre d’être tolérant.

— À propos, cria Favier, vous connaissez l’aventure ?

Mais il eut la voix couverte. Mignot demandait :

— Qui est-ce qui n’aime pas l’artichaut ? Je vends mon dessert contre un artichaut.

Personne ne répondit. Tout le monde aimait l’artichaut. Ce déjeuner-là compterait parmi les bons, car on avait vu des pêches pour le dessert.

— Il l’a invitée à dîner, mon cher, disait Favier à son voisin de droite, en achevant son récit. Comment ! vous ne le saviez pas ?

La table entière le savait, on était fatigué d’en causer depuis le matin. Et des plaisanteries, toujours les mêmes, passèrent de bouche en bouche. Deloche frémissait, ses yeux finirent par se fixer sur Favier, qui répétait avec insistance :

— S’il ne l’a pas eue, il va l’avoir… Et il n’en aura pas l’étrenne, ah ! non, il n’en aura pas l’étrenne.