Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/206

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virent descendre la baronne Sandorff, qui les salua d’un sourire, puis qui monta lestement. Parfois, elle rendait ainsi visite à Jantrou. Saccard, qu’elle excitait beaucoup, avec ses grands yeux meurtris, fut sur le point de remonter.

En haut, dans le cabinet du directeur, la baronne ne voulut même pas s’asseoir. Un petit bonjour en passant, uniquement l’idée de lui demander s’il ne savait rien. Malgré sa brusque fortune, elle le traitait toujours comme à l’époque où il venait chaque matin chez son père, M. de Ladricourt, avec l’échine basse du remisier en quête d’un ordre. Son père était d’une brutalité révoltante, elle ne pouvait oublier le coup de pied dont il l’avait jeté à la porte, dans la colère d’une grosse perte. Et, maintenant qu’elle le voyait à la source des nouvelles, elle était redevenue familière, elle tâchait de le confesser.

— Eh bien, rien de nouveau ?

— Ma foi, non, je ne sais rien. 

Mais elle continuait de le regarder en souriant persuadée qu’il ne voulait rien dire. Alors, pour le forcer aux confidences, elle parla de cette bête de guerre qui allait mettre aux prises l’Autriche, l’Italie et la Prusse. La spéculation s’affolait, une terrible baisse se déclarait sur les fonds italiens, ainsi que sur toutes les valeurs, du reste. Et elle était fort ennuyée, car elle ignorait jusqu’à quel point elle devait suivre ce mouvement, ayant d’assez grosses sommes engagées pour la liquidation prochaine.

— Votre mari ne vous renseigne donc pas ? demanda plaisamment Jantrou. Il est pourtant bien placé, à l’ambassade.

— Oh ! mon mari, murmura-t-elle avec un geste dédaigneux, mon mari, je n’en tire plus rien. 

Il s’égaya davantage, il poussa les choses jusqu’à faire allusion au procureur général Delcambre, l’amant qui, disait-on, payait ses différences, quand elle se résignait à les payer.

— Et vos amis, ils ne savent donc rien, ni à la cour, ni au palais ?