Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/207

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Elle affecta de ne pas comprendre, elle reprit, suppliante, sans le quitter des yeux :

— Voyons, vous, soyez aimable… Vous savez quelque chose. 

Déjà une fois, dans son enragement après toutes les jupes, malpropres ou élégantes, qui l’effleuraient, il avait songé à se la payer, comme il disait brutalement, cette joueuse, si familière avec lui. Mais, au premier mot, au premier geste, elle s’était redressée, si répugnée, si méprisante, qu’il avait bien juré de ne pas recommencer. Avec cet homme que son père recevait à coups de pied, ah ! jamais ! Elle n’en était pas encore là.

— Aimable, pourquoi le serais-je ? dit-il en riant d’un air gêné. Vous ne l’êtes guère avec moi. 

Tout de suite, elle redevint grave, les yeux durs. Et elle lui tournait le dos pour s’en aller, lorsque, de dépit, cherchant à la blesser, il ajouta :

— Vous venez de rencontrer Saccard à la porte, n’est-ce pas ? Pourquoi ne l’avez-vous pas interrogé lui, puisqu’il n’a rien à vous refuser ? 

Elle revint brusquement.

— Que voulez-vous dire ?

— Dame ! ce qu’il vous plaira de comprendre… Voyons, ne faites donc pas la cachottière, je vous ai vue chez lui, je le connais !

Une révolte la soulevait, tout l’orgueil de sa race, vivant encore, remontait du fond trouble, de la boue où sa passion la noyait un peu chaque jour. D’ailleurs, elle ne s’emporta pas, elle dit simplement d’une voix nette et rude :

— Ah ! ça, mon cher, pour qui me prenez-vous ? Vous êtes fou… Non, je ne suis pas la maîtresse de votre Saccard, parce que je n’ai pas voulu. 

Et lui, alors, avec sa politesse fleurie de lettré, la salua d’une révérence.

— Eh bien, madame, vous avez eu le plus grand tort… Croyez-moi, si c’est à recommencer, ne manquez pas l’affaire, parce que, vous qui êtes toujours à la chasse des