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VII


Deux mois plus tard, par un après-midi gris et doux de novembre, madame Caroline monta à la salle des épures, tout de suite après le déjeuner, pour se mettre au travail. Son frère, alors à Constantinople, où il s’occupait de sa grande affaire des chemins de fer d’Orient, l’avait chargée de revoir toutes les notes prises autrefois par lui, dans leur premier voyage, puis de rédiger une sorte de mémoire, qui serait comme un résumé historique de la question ; et, depuis deux grandes semaines, elle tâchait de s’absorber tout entière dans cette besogne. Ce jour-là, il faisait si chaud, qu’elle laissa mourir le feu et ouvrit la fenêtre, d’où elle regarda un instant, avant de s’asseoir, les grands arbres nus de l’hôtel Beauvilliers, violâtres sur le ciel pâle.

Il y avait près d’une demi-heure qu’elle écrivait, lorsque le besoin d’un document l’égara dans une longue recherche, parmi les dossiers entassés sur sa table. Elle se leva, alla remuer d’autres papiers, revint s’asseoir, les mains pleines ; et, comme elle classait des feuilles volantes, elle tomba sur des images de sainteté, une vue enluminée du Saint-Sépulcre, une prière encadrée des instruments de la Passion, souveraine pour assurer le salut, dans les moments de détresse où l’âme est en danger. Alors, elle se souvint, son frère avait acheté ces images à Jérusalem, en grand enfant pieux. Une émotion soudaine la saisit, des larmes mouillèrent ses joues. Ah ! ce frère, si intelligent, si longtemps méconnu, qu’il était heureux de croire, de ne pas sourire devant ce Saint-