Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/224

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Sépulcre naïf pour boîte à bonbons, de puiser une sereine force dans sa foi à l’efficacité de cette prière, rimée en vers de confiseur ! Elle le revoyait trop confiant, trop facile à se laisser duper peut-être, mais si droit, si tranquille, sans une révolte, sans une lutte même. Et elle qui, depuis deux mois, luttait et souffrait, elle qui ne croyait plus, brûlée de lectures, dévastée de raisonnements, avec quelle ardeur elle souhaitait, aux heures de faiblesse, d’être restée simple et ingénue comme lui, au point de pouvoir endormir son cœur saignant, en répétant trois fois, matin et soir, l’oraison enfantine que les clous et la lance, la couronne et l’éponge de la Passion entouraient !

Au lendemain du hasard brutal qui lui avait appris la liaison de Saccard et de la baronne Sandorff, elle s’était raidie de toute sa volonté, pour résister au besoin de les surveiller et de savoir. Elle n’était point la femme de cet homme, elle ne voulait point être sa maîtresse passionnée, jalouse jusqu’au scandale ; et sa misère était qu’elle continuait à ne pas se refuser, dans leur intimité de chaque heure. Cela venait de la façon paisible, simplement affectueuse, dont elle avait d’abord considéré leur aventure : une amitié ayant abouti fatalement au don de la personne, comme il arrive entre homme et femme. Elle n’avait plus vingt ans, elle était devenue d’une grande tolérance, après la dure expérience de son mariage. À trente-six ans, étant si sage, se croyant sans illusions, ne pouvait-elle donc fermer les yeux, se conduire plus en mère qu’en amante, à l’égard de cet ami auquel elle s’était résignée sur le tard, dans une minute d’absence morale, et qui, lui aussi, avait singulièrement dépassé l’âge des héros ? Parfois, elle répétait qu’on accordait trop d’importance à ces rapports des sexes, simples rencontres souvent, dont on embarrassait ensuite l’existence entière. D’ailleurs, elle souriait la première de l’immoralité de sa remarque, car n’étaient-ce pas alors toutes les fautes permises, toutes les femmes à tous les hommes ? Et, pourtant, que de femmes sont raisonnables