Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/240

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d’argent, de quelque marché honteux conclu, et, plus tard, le crime n’était-il pas tranquillement entré dans le ménage, toléré et vivant là, un adultère monstrueux, touchant à l’inceste ?

— Renée, reprit Maxime très bas, comme malgré lui, n’avait que quelques années de plus que moi… 

Il avait levé la tête, il regardait madame Caroline ; et, dans un abandon subit, dans une confiance irraisonnée en cette femme, qui lui semblait si bien portante et si sage, il conta le passé, non pas en phrases suivies, mais par lambeaux, par aveux incomplets, comme involontaires, qu’elle devait coudre. Était-ce une ancienne rancune contre son père qu’il soulageait, cette rivalité qui avait existé entre eux, qui les faisait étrangers, aujourd’hui encore, sans intérêts communs ? Il ne l’accusait pas, semblait incapable de colère ; mais son petit rire tournait au ricanement, il parlait de ces abominations avec la joie mauvaise et sournoise de le salir, en remuant tant de vilenies.

Et ce fut ainsi que madame Caroline apprit tout au long l’effrayante histoire : Saccard vendant son nom, épousant pour de l’argent une fille séduite ; Saccard, par son argent, sa vie folle et éclatante, achevant de détraquer cette grande enfant malade ; Saccard, dans un besoin d’argent, ayant à obtenir d’elle une signature, tolérant chez lui les amours de sa femme et de son fils, fermant les yeux en bon patriarche qui veut bien qu’on s’amuse. L’argent, l’argent roi, l’argent Dieu, au-dessus du sang, au-dessus des larmes, adoré plus haut que les vains scrupules humains, dans l’infini de sa puissance ! Et, à mesure que l’argent grandissait, que Saccard se révélait à elle avec cette diabolique grandeur, madame Caroline se trouvait prise d’une véritable épouvante, glacée, éperdue, à l’idée qu’elle était au monstre, après tant d’autres.

— Voilà ! dit en finissant Maxime. Vous me faites de la peine, il vaut mieux que vous soyez prévenue… Et que cela ne vous fâche pas avec mon père. J’en serais désolé,