Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/258

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L’accueil que Saccard fit à la comtesse de Beauvilliers fut d’une brusquerie d’homme tout secoué encore. La vue d’Alice, qui accompagnait sa mère, de son air muet et profond, ne le calma même pas. Il avait renvoyé les deux chefs de service, il ne songeait qu’à les rappeler pour continuer son travail.

— Je vous en prie, madame, dites vite, car je suis horriblement pressé. 

La comtesse s’arrêta, surprise, toujours lente, avec sa tristesse de reine déchue.

— Mais, monsieur, si je vous dérange… 

Il dut leur indiquer des sièges ; et la jeune fille, plus brave, s’assit la première, d’un mouvement résolu, tandis que la mère reprenait :

— Monsieur, c’est pour un conseil… Je suis dans l’hésitation la plus douloureuse, je sens que je ne me déciderai jamais toute seule… 

Et elle lui rappela qu’à la fondation de la banque, elle avait pris cent actions, qui, doublées, lors de la première augmentation du capital et doublées encore lors de la seconde, faisaient aujourd’hui un total de quatre cents actions, sur lesquelles elle avait versé, primes comprises, la somme de quatre-vingt-sept mille francs. En dehors de ses vingt mille francs d’économies, elle avait donc dû, pour payer cette somme, emprunter soixante-dix mille francs sur sa ferme des Aublets.

— Or, continua-t-elle, je trouve aujourd’hui un acquéreur pour les Aublets… Et, n’est-ce pas ? il est question d’une émission nouvelle, de sorte que je pourrais peut-être placer toute notre fortune dans votre maison. 

Saccard s’apaisait, flatté de voir les deux pauvres femmes, les dernières d’une grande et antique race, si confiantes, si anxieuses devant lui. Rapidement, avec des chiffres, il les renseigna.

— Une nouvelle émission, parfaitement, je m’en occupe… L’action sera de huit cent cinquante francs, avec la prime… Voyons, nous disons que vous avez quatre cents actions. Il va donc vous en être attribué deux cents,