Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/292

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— Dites donc, reprit-il brusquement, puisque Saccard vous lâche, vous devriez vous mettre bien avec Gundermann. 

Elle resta un moment surprise.

— Gundermann, pourquoi ?… Je le connais un peu, je l’ai rencontré chez les de Roiville et chez les Keller.

— Tant mieux, si vous le connaissez… Allez le voir sous un prétexte, causez avec lui, tâchez d’être son amie… Vous imaginez-vous cela : être la bonne amie de Gundermann, gouverner le monde !

Et il ricanait, aux images licencieuses qu’il évoquait du geste, car la froideur du juif était connue, rien ne devait être plus compliqué ni plus difficile que de le séduire. La baronne, ayant compris, eut un sourire muet, sans se fâcher.

— Mais répéta-t-elle, pourquoi Gundermann ? 

Il expliqua alors que, certainement, ce dernier était à la tête du groupe de baissiers qui commençaient à manœuvrer contre l’Universelle. Ça, il le savait, il en avait la preuve. Puisque Saccard n’était pas gentil, la simple prudence n’était-elle pas de se mettre bien avec son adversaire, sans rompre avec lui d’ailleurs ? On aurait un pied dans chaque camp, on serait assuré d’être, le jour de la bataille, en compagnie du vainqueur. Et, cette trahison, il la proposait d’un air aimable, simplement en homme de bon conseil. Si une femme travaillait pour lui, il dormirait bien tranquille.

— Hein ? voulez-vous ? soyons ensemble… Nous nous préviendrons, nous nous dirons tout ce que nous aurons appris. 

Comme il s’emparait de sa main, elle la retira d’un mouvement instinctif croyant à autre chose.

— Mais non, je n’y songe plus, puisque nous sommes camarades… Plus tard, c’est vous qui me récompenserez. 

En riant, elle lui abandonna sa main, qu’il baisa. Et elle était déjà sans mépris, oubliant le laquais qu’il avait été, ne le voyant plus dans la crapuleuse fête où il tombait, le visage ruiné, avec sa belle barbe qui empoisonnait