Page:Emile Zola - L’Argent.djvu/332

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jours acheter, qu’on soupçonnait chez l’autre. Les nouvelles contradictoires qui circulaient, murmurées d’abord, finissaient par des éclats de trompette. Dès qu’ils ouvraient la bouche, les uns criaient, pour se faire entendre au milieu du vacarme ; tandis que d’autres, pleins de mystère, se penchaient à l’oreille de leurs interlocuteurs, parlaient très bas même quand ils n’avaient rien à dire.

— Eh ! je garde mes positions à la hausse ! reprit Pillerault, déjà raffermi. Il fait un soleil trop beau, tout va monter encore.

— Tout va crouler, répliqua Moser avec son obstination dolente. La pluie n’est pas loin, j’ai eu une crise cette nuit. 

Mais le sourire de Salmon, qui les écoutait à tour de rôle, devint si aigu, que tous deux restèrent mécontents, sans certitude possible. Est-ce que ce diable d’homme, si extraordinairement fort, si profond et si discret, avait trouvé une troisième façon de jouer, en ne se mettant ni à la hausse ni à la baisse ?

Saccard, à son pilier, voyait grossir autour de lui la cohue de ses flatteurs et de ses clients. Continuellement, des mains se tendaient, et il les serrait toutes, avec la même facilité heureuse, mettant dans chaque étreinte de ses doigts une promesse de triomphe. Certains accouraient, échangeaient un mot, repartaient ravis. Beaucoup s’entêtaient, ne le lâchaient plus, glorieux d’être de son groupe. Souvent il se montrait aimable, sans se rappeler le nom des gens qui lui parlaient. Ainsi, il fallut que le capitaine Chave lui nommât Maugendre, pour qu’il reconnût celui-ci. Le capitaine, remis avec son beau-frère, le poussait à vendre ; mais la poignée de main du directeur suffit à enflammer Maugendre d’un espoir sans limite. Ensuite, ce fut Sédille, l’administrateur, le grand marchand de soie, qui voulut avoir une consultation d’une minute. Sa maison de commerce périclitait, toute sa fortune était liée à celle de l’Universelle, à ce point que la baisse possible devait être pour lui un écrou-