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LES ROUGON-MACQUART.

vous étiez ici… Je suis bien heureux de vous rencontrer.

L’abbé Faujas s’était levé, gêné, malgré son grand sang-froid, surpris par ces tendresses qu’il n’attendait point.

— Oui, murmura-t-il, j’ai dû accepter, malgré mon peu de mérite… J’avais d’abord refusé, citant à Monseigneur des prêtres plus dignes, vous citant vous-même…

L’abbé Bourrette cligna les yeux ; et, l’emmenant à l’écart, baissant la voix :

— Monseigneur m’a tout conté… Il paraît que Fenil ne voulait absolument pas entendre parler de moi. Il aurait mis le feu au diocèse, si j’avais été nommé : ce sont ses propres paroles. Mon crime est d’avoir fermé les yeux à ce pauvre Compan… Et il exigeait, comme vous le savez, la nomination de l’abbé Chardon. Un homme pieux sans doute, mais d’une insuffisance notoire. Le grand vicaire comptait régner sous son nom à Saint-Saturnin… C’est alors que Monseigneur vous a donné la place pour lui échapper et lui faire pièce. Cela me venge. Je suis enchanté, mon cher ami… Est-ce que vous connaissiez l’histoire ?

— Non, pas dans les détails.

— Eh bien ! les choses se sont passées ainsi, je vous l’affirme. Je tiens les faits de la bouche même de monseigneur… Entre nous, il m’a laissé entrevoir un beau dédommagement. Le second grand vicaire, l’abbé Vial, a depuis longtemps le désir d’aller se fixer à Rome ; la place serait libre, vous entendez. Enfin, silence sur tout ceci… Je ne donnerais pas ma journée pour beaucoup d’argent.

Et il continuait à serrer les mains de l’abbé Faujas, tandis que sa large face jubilait d’aise. Autour d’eux, les dames se regardaient d’un air étonné, avec des sourires. Mais la joie du bonhomme était si franche, qu’elle finit par se communiquer à tout le salon vert, où l’ovation faite au nouveau curé prit un caractère plus intime et plus atten-