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LES ROUGON-MACQUART.

Puis il se leva, vint battre contre les vitres du bout des doigts. Comme Serge allait l’implorer de nouveau :

— Non, non ; c’est entendu, dit-il simplement. Fais-toi curé, mon garçon.

Et il sortit. Le lendemain, sans avertir personne, il partit pour Marseille, où il passa huit jours avec son fils Octave. Mais il revint soucieux, vieilli. Octave lui donnait peu de consolation. Il l’avait trouvé menant joyeuse vie, criblé de dettes, cachant des maîtresses dans ses armoires ; d’ailleurs, il n’ouvrit pas les lèvres sur ces choses. Il devenait tout à fait sédentaire, ne faisait plus un seul de ces bons coups, un de ces achats de récolte sur pied, dont il était si glorieux autrefois. Rose remarqua qu’il affectait un silence presque absolu, qu’il évitait même de saluer l’abbé Faujas.

— Savez-vous que vous n’êtes guère poli ? lui dit-elle un jour hardiment ; monsieur le curé vient de passer, et vous lui avez tourné le dos… Si c’est à cause de l’enfant que vous faites ça, vous avez bien tort. Monsieur le curé ne voulait pas qu’il entrât au séminaire ; il l’a assez chapitré là-dessus ; je l’ai entendu… Ah ! la maison est gaie maintenant ; vous ne causez plus, même avec madame ; quand vous vous mettez à table, on dirait un enterrement… Moi, je commence à en avoir assez, monsieur.

Mouret quittait la pièce, mais la cuisinière le poursuivait dans le jardin.

— Est-ce que vous ne devriez pas être heureux de voir l’enfant sur ses pieds ? Il a mangé une côtelette hier, le chérubin, et avec bon appétit encore… Ça vous est bien égal, n’est-ce pas ? Vous vouliez en faire un païen comme vous… Allez, vous avez trop besoin de prières ; c’est le bon Dieu qui veut notre salut à tous. À votre place, je pleurerais de joie, en pensant que ce pauvre petit cœur va prier pour moi. Mais vous êtes de pierre, vous, monsieur… Et comme il sera gentil, le mignon, en soutane !