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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Alors, Mouret montait au premier étage. Là, il s’enfermait dans une chambre, qu’il appelait son bureau, une grande pièce nue, meublée d’une table et de deux chaises. Cette pièce devint son refuge, aux heures où la cuisinière le traquait. Il s’y ennuyait, redescendait au jardin, qu’il cultivait avec une sollicitude plus grande. Marthe ne semblait pas avoir conscience des bouderies de son mari ; il restait parfois une semaine silencieux, sans qu’elle s’inquiétât ni se fâchât. Elle se détachait chaque jour davantage de ce qui l’entourait ; elle crut même, tant la maison lui parut paisible, lorsqu’elle n’entendit plus, à toute heure, la voix grondeuse de Mouret, que celui-ci s’était raisonné, qu’il s’était arrangé comme elle un coin de bonheur. Cela la tranquillisa, l’autorisa à s’enfoncer plus avant dans son rêve. Quand il la regardait, les yeux troubles, ne la reconnaissant plus, elle lui souriait, elle ne voyait pas les larmes qui lui gonflaient les paupières.

Le jour où Serge, complètement guéri, entra au séminaire, Mouret resta seul à la maison avec Désirée. Maintenant, il la gardait souvent. Cette grande enfant, qui touchait à sa seizième année, aurait pu tomber dans le bassin, ou mettre le feu à la maison, en jouant avec des allumettes, comme une gamine de six ans. Lorsque Marthe rentra, elle trouva les portes ouvertes, les pièces vides. La maison lui sembla toute nue. Elle descendit sur la terrasse, et aperçut, au fond d’une allée, son mari qui jouait avec la jeune fille. Il était assis par terre, sur le sable ; il emplissait gravement, à l’aide d’une petite pelle de bois, un chariot que Désirée tenait par une ficelle.

— Hue ! hue ! criait l’enfant.

— Mais attends donc, disait patiemment le bonhomme ; il n’est pas plein… Puisque tu veux faire le cheval, il faut attendre qu’il soit plein.

Alors, elle battit des pieds en faisant le cheval qui s’impa-