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LES ROUGON-MACQUART.

qué. Les dames ne tarissaient pas, et le nom de l’abbé Faujas était prononcé à chaque instant avec de vifs éloges.

— C’est un saint, décidément, dit en ricanant madame Paloque à M. de Condamin, qui était allé s’asseoir près d’elle.

Puis, se penchant :

— Je n’ai pas pu parler librement devant la mère… On cause beaucoup trop de l’abbé Faujas et de madame Mouret. Ces vilains bruits ont dû arriver aux oreilles de monseigneur.

M. de Condamin se contenta de répondre :

— Madame Mouret est une femme charmante, très-désirable encore malgré ses quarante ans.

— Oh ! charmante, charmante, murmura madame Paloque, dont un flot de bile verdit la face.

— Tout à fait charmante, insista le conservateur des eaux et forêts ; elle est à l’âge des grandes passions et des grands bonheurs… Vous vous jugez très-mal entre femmes.

Et il quitta le salon, heureux de la rage contenue de madame Paloque. La ville, en effet, s’occupait passionnément de la lutte continue que l’abbé Faujas soutenait contre l’abbé Fenil, pour conquérir sur lui Mgr Rousselot. C’était un combat de chaque heure, un assaut de servantes-maîtresses se disputant les tendresses d’un vieillard. L’évêque souriait finement ; il avait trouvé une sorte d’équilibre entre ces deux volontés contraires, il les battait l’un par l’autre, s’amusait de les voir à terre tour à tour, quitte à toujours accepter les soins du plus fort, pour avoir la paix. Quant aux médisances qu’on lui rapportait sur ses favoris, elles le laissaient plein d’indulgence ; il les savait capables de s’accuser mutuellement d’assassinat.

— Vois-tu, mon enfant, disait-il à l’abbé Surin, dans ses heures de confidences, ils sont pires tous les deux… Je crois que Paris l’emportera et que Rome sera battue ; mais