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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Paris, rue du Helder. Vous savez que je me tiens à quatre, pour ne pas éclater, quand je vous vois donner le pain bénit, à Saint-Saturnin.

— Vous n’êtes point sérieux, mon cher, répondit-elle sur le même ton ; cela vous jouera quelque mauvais tour. Réellement, vous m’inquiétez, je vous ai connu plus intelligent. Êtes-vous assez aveugle pour ne pas voir que vous branlez dans le manche ? Comprenez donc que si l’on ne vous a point encore fait sauter, c’est qu’on ne veut pas donner l’éveil aux légitimistes de Plassans. Le jour où ils verront arriver un autre sous-préfet, ils se méfieront ; tandis qu’avec vous, ils s’endorment, ils se croient certains de la victoire, aux prochaines élections. Ce n’est pas flatteur, je le sais, d’autant plus que j’ai la certitude absolue qu’on agit sans vous… Entendez-vous ? mon cher, vous êtes perdu, si vous ne devinez certaines choses.

Il la regardait avec une véritable épouvante.

— Est-ce que « le grand homme » vous a écrit ? demanda-t-il, faisant allusion à un personnage qu’ils désignaient ainsi entre eux.

— Non, il a rompu entièrement avec moi. Je ne suis pas une sotte, j’ai compris la première la nécessité de cette séparation. D’ailleurs, je n’ai pas à me plaindre : il s’est montré très-bon, il m’a mariée, il m’a donné d’excellents conseils, dont je me trouve bien… Mais j’ai gardé des amis à Paris. Je vous jure que vous n’avez que juste le temps de vous raccrocher aux branches. Ne faites plus le païen, allez vite donner une poignée de main à l’abbé Faujas… Vous comprendrez plus tard, si vous ne devinez pas aujourd’hui.

M. Péqueur des Saulaies restait le nez baissé, un peu honteux de la leçon. Il était très-fat, il montra ses dents blanches, chercha à se tirer du ridicule, en murmurant tendrement :