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LES ROUGON-MACQUART.

patronnesses de l’œuvre de la Vierge offraient quelque cadeau à la cathédrale, un saint ciboire, une croix d’argent, une bannière, elle était toute honteuse ; elle les évitait, feignant d’ignorer leur projet. Ces dames la plaignaient beaucoup. Elle aurait volé son mari, si elle avait trouvé la clef sur le secrétaire, tant le besoin d’orner cette église qu’elle aimait la torturait. Une jalousie de femme trompée la prenait aux entrailles, lorsque l’abbé Faujas se servait d’un calice donné par madame de Condamin ; tandis que, les jours où il disait la messe sur la nappe d’autel qu’elle avait brodée, elle éprouvait une joie profonde, priant avec des frissons, comme si quelque chose d’elle-même se trouvait sous les mains élargies du prêtre. Elle aurait voulu qu’une chapelle tout entière lui appartînt ; elle rêvait d’y mettre une fortune, de s’y enfermer, de recevoir Dieu chez elle, pour elle seule.

Rose, qui recevait ses confidences, s’ingéniait pour lui procurer de l’argent. Cette année-là, elle fit disparaître les plus beaux fruits du jardin et les vendit ; elle débarrassa également le grenier d’un tas de vieux meubles, si bien qu’elle finit par réunir une somme de trois cents francs, qu’elle remit triomphalement à Marthe. Celle-ci embrassa la vieille cuisinière.

— Ah ! que tu es bonne ! dit-elle en la tutoyant. Tu es sûre au moins qu’il n’a rien vu ?… J’ai regardé, l’autre jour, rue des Orfèvres, des petites burettes d’argent ciselé, toutes mignonnes ; elles sont de deux cents francs… Tu vas me rendre un service, n’est-ce pas ? Je ne veux pas les acheter moi-même, parce qu’on pourrait me voir entrer. Dis à ta sœur d’aller les prendre ; elle les apportera à la nuit, elle te les remettra par la fenêtre de ta cuisine.

Cet achat des burettes fut pour elle toute une intrigue défendue, où elle goûta de vives jouissances. Elle les garda, pendant trois jours, au fond d’une armoire, cachées derrière