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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Cette enfant me fera mourir, dit-elle ; elle ne sait qu’inventer pour me donner des secousses. Je suis sûre qu’elle s’est jetée par terre exprès. Ce n’est plus tenable. Je m’enfermerai dans ma chambre, je partirai le matin pour ne rentrer que le soir… Oui, ris donc, grande bête ! Est-ce possible d’avoir mis au monde une pareille bête ! Va, tu me coûteras cher.

— Ça, c’est sûr, ajouta Rose qui était accourue de la cuisine, c’est un gros embarras, et il n’y a pas de danger qu’on puisse jamais la marier.

Mouret, frappé au cœur, les écoutait, les regardait. Il ne répondit rien, il resta au fond du jardin avec la jeune fille. Jusqu’à la tombée de la nuit, ils parurent causer doucement ensemble. Le lendemain, Marthe et Rose devaient s’absenter toute la matinée ; elles allaient, à une lieue de Plassans, entendre la messe dans une chapelle dédiée à saint Janvier, où toutes les dévotes de la ville se rendaient ce jour-là en pèlerinage. Lorsqu’elles rentrèrent, la cuisinière se hâta de servir un déjeuner froid. Marthe mangeait depuis quelques minutes, lorsqu’elle s’aperçut que sa fille n’était pas à table.

— Désirée n’a donc pas faim ? demanda-t-elle ; pourquoi ne déjeune-t-elle pas avec nous ?

— Désirée n’est plus ici, dit Mouret, qui laissait les morceaux sur son assiette ; je l’ai menée ce matin à Saint-Eutrope, chez sa nourrice.

Elle posa sa fourchette, un peu pâle, surprise et blessée.

— Tu aurais pu me consulter, reprit-elle.

Mais lui, continua, sans répondre directement :

— Elle est bien chez sa nourrice. Cette brave femme, qui l’aime beaucoup, veillera sur elle… De cette façon, l’enfant ne te tourmentera plus, tout le monde sera content.

Et, comme elle restait muette, il ajouta :