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LES ROUGON-MACQUART.

— Si la maison ne te semble pas assez tranquille, tu me le diras, et je m’en irai.

Elle se leva à demi, une lueur passa dans ses yeux. Il venait de la frapper si cruellement, qu’elle avança la main, comme pour lui jeter la bouteille à la tête. Dans cette nature si longtemps soumise, des colères inconnues soufflaient ; une haine grandissait contre cet homme qui rôdait sans cesse autour d’elle, pareil à un remords. Elle se remit à manger avec affectation, sans parler davantage de sa fille. Mouret avait plié sa serviette ; il restait assis devant elle, écoutant le bruit de sa fourchette, jetant de lents regards autour de cette salle à manger, si joyeuse autrefois du tapage des enfants, si vide et si triste aujourd’hui. La pièce lui semblait glacée. Des larmes lui montaient aux yeux, lorsque Marthe appela Rose pour le dessert.

— Vous avez bon appétit, n’est-ce pas, madame ? dit celle-ci en apportant une assiette de fruits. C’est que nous avons joliment marché !… Si monsieur, au lieu de faire le païen, était venu avec nous, il ne vous aurait pas laissé manger le reste du gigot à vous toute seule.

Elle changea les assiettes, bavardant toujours.

— Elle est bien jolie, la chapelle de saint Janvier, mais elle est trop petite… Vous avez vu les dames qui sont arrivées en retard ; elles ont dû s’agenouiller dehors, sur l’herbe, en plein soleil… Ce que je ne comprends pas, c’est que madame de Condamin soit venue en voiture ; il n’y a plus de mérite alors, à faire le pèlerinage… Nous avons passé une bonne matinée tout de même, n’est-ce pas, madame ?

— Oui, une bonne matinée, répéta Marthe. L’abbé Mousseau, qui a prêché, a été très-touchant.

Lorsque Rose s’aperçut à son tour de l’absence de Désirée, et qu’elle connut le départ de l’enfant, elle s’écria :

— Ma foi, monsieur a eu une bonne idée !… Elle me