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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Olympe se laissa verser trois doigts de sirop. Mais Marthe, qui s’était levée, voulait partir. L’oncle la força à visiter sa propriété. Au bout du jardin, elle s’arrêta, regardant une grande maison blanche, bâtie sur la pente, à quelques centaines de mètres des Tulettes. Les cours intérieures ressemblaient aux préaux d’une prison ; les étroites fenêtres, régulières, qui marquaient les façades de barres noires, donnaient au corps de logis central une nudité blafarde d’hôpital.

— C’est la maison des Aliénés, murmura l’oncle, qui avait suivi la direction des yeux de Marthe. Le garçon qui est là est un des gardiens. Nous sommes très-bien ensemble, il vient boire une bouteille de temps à autre.

Et se tournant vers l’homme vêtu de gris, qui achevait son verre sous les mûriers :

— Hé ! Alexandre, cria-t-il, viens donc dire à ma nièce où est la fenêtre de notre pauvre vieille.

Alexandre s’avança obligeamment.

— Voyez-vous ces trois arbres ? dit-il, le doigt tendu, comme s’il eût tracé un plan dans l’air. Eh bien, un peu au-dessus de celui de gauche, vous devez apercevoir une fontaine, dans le coin d’une cour… Suivez les fenêtres du rez-de-chaussée, à droite : c’est la cinquième fenêtre.

Marthe restait silencieuse, les lèvres blanches, les yeux cloués malgré elle sur cette fenêtre qu’on lui montrait. L’oncle Macquart regardait aussi, mais avec une complaisance qui lui faisait cligner les yeux.

— Quelquefois, je la vois, reprit-il, le matin, lorsque le soleil est de l’autre côté. Elle se porte très-bien, n’est-ce pas, Alexandre ? C’est ce que je leur dis toujours, lorsque je vais à Plassans… Je suis bien placé ici pour veiller sur elle. On ne peut pas être mieux placé.

Il laissa échapper son ricanement de satisfaction.

— Vois-tu, ma fille, la tête n’est pas plus solide chez les Rougon que chez les Macquart. Quand je m’assois à cette