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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— Il te permet d’agir ? demanda-t-elle.

— Oui, en toute liberté… Nous allons être joliment tranquilles, quand l’autre ne sera plus là.

Elle était encore couchée ; elle se renfonça sous la couverture, faisant des sauts de carpe, riant comme une enfant.

— Ah bien ! tout va être à nous, n’est-ce pas ?… Je prendrai une autre chambre. Et je veux aller dans le jardin, je veux faire ma cuisine en bas… Tiens ! mon frère nous doit bien ça. Tu lui auras donné un fier coup de main !

Le soir, Trouche arriva vers dix heures seulement au café borgne dans lequel il se rencontrait avec Guillaume Porquier et d’autres jeunes gens comme il faut de la ville. On le plaisanta sur son retard, on l’accusa d’être allé aux remparts avec une des jeunes coquines de l’œuvre de la Vierge. Cette plaisanterie, d’habitude, le flattait ; mais il resta grave. Il dit qu’il avait eu des affaires, des affaires sérieuses. Ce ne fut que vers minuit, quand il eut vidé les carafons du comptoir, qu’il devint tendre et expansif. Il tutoya Guillaume, il balbutia, le dos contre le mur, rallumant sa pipe à chaque phrase :

— J’ai vu ton père, ce soir. C’est un brave homme… J’avais besoin d’un papier. Il a été très-gentil, très-gentil. Il me l’a donné. Je l’ai là, dans ma poche… Ah ! il ne voulait pas d’abord. Il disait que ça regardait la famille. Je lui ai dit : « Moi, je suis la famille, j’ai l’ordre de la maman… » Tu la connais, la maman ; tu vas chez elle. Une brave femme. Elle avait paru très-contente, lorsque j’étais allé lui conter l’affaire, auparavant… Alors, il m’a donné le papier. Tu peux le toucher, tu le sentiras dans ma poche…

Guillaume le regardait fixement, cachant sa vive curiosité sous un rire de doute.

— Je ne mens pas, continua l’ivrogne ; le papier est dans ma poche… Tu l’as senti ?