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LES ROUGON-MACQUART.

— C’est un journal, dit le jeune homme.

Trouche, en ricanant, tira de sa redingote une grande enveloppe, qu’il posa sur la table au milieu des tasses et des verres. Il la défendit un instant contre Guillaume, qui avait allongé la main ; puis, il la lui laissa prendre, riant plus fort, comme si on l’avait chatouillé. C’était une déclaration du docteur Porquier, fort détaillée, sur l’état mental du sieur François Mouret, propriétaire, à Plassans.

— Alors on va le coffrer ? demanda Guillaume en rendant le papier.

— Ça ne te regarde pas, mon petit, répondit Trouche, redevenu méfiant. C’est pour sa femme, ce papier-là. Moi, je ne suis qu’un ami qui aime à rendre service. Elle fera ce qu’elle voudra… Elle ne peut pas non plus se laisser massacrer, cette pauvre dame.

Il était si gris, que, lorsqu’on les mit à la porte du café, Guillaume dut l’accompagner jusqu’à la rue Balande. Il voulait se coucher sur tous les bancs du cours Sauvaire. Arrivé à la place de la Sous-Préfecture, il sanglota, il répéta :

— Il n’y a plus d’amis, c’est parce que je suis pauvre qu’on me méprise… Toi, tu es un bon garçon. Tu viendras prendre le café avec nous, quand nous serons les maîtres. Si l’abbé nous gêne, nous l’enverrons rejoindre l’autre… Il n’est pas fort, l’abbé, malgré ses grands airs ; je lui fais voir les étoiles en plein midi… Tu es un ami, un vrai, n’est-ce pas ? Le Mouret est enfoncé, nous boirons son vin.

Lorsqu’il eut mit Trouche à sa porte, Guillaume traversa Plassans endormi et vint siffler doucement devant la maison du juge de paix. C’était un signal. Les fils Maffre, que leur père enfermait de sa main dans leur chambre, ouvrirent une croisée du premier étage, d’où ils descendirent en s’aidant des barreaux dont les fenêtres du rez-de-chaussée étaient