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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

venant de la prédiction de monseigneur, cherchant la fente qui ferait tomber en poudre le colosse.

Cependant, ces messieurs étaient satisfaits, sauf M. de Bourdeu et M. Péqueur des Saulaies, qui attendaient encore les bonnes grâces du gouvernement. Aussi ces deux-là étaient-ils les plus chauds partisans de l’abbé Faujas. Les autres, à la vérité, se seraient révoltés volontiers, s’ils avaient osé ; ils étaient las de la reconnaissance continue exigée par le maître, ils souhaitaient ardemment qu’une main courageuse les délivrât. Aussi échangèrent-ils d’étranges regards, aussitôt détournés, le jour où madame Paloque demanda, en affectant une grande indifférence :

— Et l’abbé Fenil, que devient-il donc ? Il y a un siècle que je n’ai entendu parler de lui.

Un profond silence s’était fait. M. de Condamin était seul capable de se hasarder sur un terrain aussi brûlant ; on le regarda.

— Mais, répondit-il tranquillement, je le crois claquemuré dans sa propriété des Tulettes.

Et madame de Condamin ajouta avec un rire d’ironie :

— On peut dormir en paix : c’est un homme fini, qui ne se mêlera plus des affaires de Plassans.

Marthe seule restait un obstacle. L’abbé Faujas la sentait lui échapper chaque jour davantage ; il raidissait sa volonté, appelait ses forces de prêtre et d’homme pour la plier, sans parvenir à modérer en elle l’ardeur qu’il lui avait soufflée. Elle allait au but logique de toute passion, exigeait d’entrer plus avant à chaque heure dans la paix, dans l’extase, dans le néant parfait du bonheur divin. Et c’était en elle une angoisse mortelle d’être comme murée au fond de sa chair, de ne pouvoir se hausser à ce seuil de lumière, qu’elle croyait apercevoir, toujours plus loin, toujours plus haut. Maintenant, elle grelottait, à Saint-Saturnin, dans cette ombre froide où elle avait goûté des approches si plei-