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LES ROUGON-MACQUART.

nes d’ardentes délices ; les ronflements des orgues passaient sur sa nuque inclinée, sans soulever ses poils follets d’un frisson de volupté ; les fumées blanches de l’encens ne l’assoupissaient plus au milieu d’un rêve mystique ; les chapelles flambantes, les saints ciboires rayonnant comme des astres, les chasubles d’or et d’argent, pâlissaient, se noyaient, sous ses regards obscurcis de larmes. Alors, ainsi qu’une damnée, brûlée des feux du paradis, elle levait les bras désespérément, elle réclamait l’amant qui se refusait à elle, balbutiant, criant :

— Mon Dieu, mon Dieu ! pourquoi vous êtes-vous retiré de moi ?

Honteuse, comme blessée de la froideur muette des voûtes, Marthe quittait l’église avec la colère d’une femme dédaignée. Elle rêvait des supplices pour offrir son sang ; elle se débattait furieusement dans cette impuissance à aller plus loin que la prière, à ne pas se jeter d’un bond entre les bras de Dieu. Puis, rentrée chez elle, elle n’avait d’espoir qu’en l’abbé Faujas. Lui seul pouvait la donner à Dieu ; il lui avait ouvert les joies de l’initiation, il devait maintenant déchirer le voile entier. Et elle imaginait une suite de pratiques aboutissant à la satisfaction complète de son être. Mais le prêtre s’emportait, s’oubliait jusqu’à la traiter grossièrement, refusait de l’entendre, tant qu’elle ne serait point à genoux, humiliée, inerte, ainsi qu’un cadavre. Elle l’écoutait, debout, soulevée par une révolte de tout son corps, tournant contre lui la rancune de ses désirs trompés, l’accusant de la lâche trahison dont elle agonisait.

Souvent, la vieille madame Rougon crut devoir intervenir entre l’abbé et sa fille, comme elle le faisait autrefois entre celle-ci et Mouret. Marthe lui ayant conté ses chagrins, elle parla au prêtre en belle-mère voulant le bonheur de ses enfants, passant le temps à mettre la paix dans leur ménage.