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LES ROUGON-MACQUART.

vous laissera pas entrer. C’est défendu d’abord… Voyez-vous, je n’aurais pas dû monter dans la voiture, quand vous avez parlé des Tulettes ; vous n’auriez peut-être pas osé faire la bêtise toute seule.

Un soupir de Marthe l’interrompit. Elle se tourna, la vit toute blême qui étouffait, et se fâcha plus fort, en baissant un carreau pour donner de l’air.

— C’est cela, passez-moi entre les bras maintenant, n’est-ce pas ? Est-ce que vous ne seriez pas mieux dans votre lit, à vous soigner ? Quand on pense que vous avez eu la chance de ne rencontrer autour de vous que des gens dévoués, sans seulement dire merci au bon Dieu ! Vous savez bien que c’est la vérité. Monsieur le curé, sa mère, sa sœur, jusqu’à monsieur Trouche, sont aux petits soins pour vous ; ils se jetteraient dans le feu, ils sont debout à toute heure du jour et de la nuit. J’ai vu madame Olympe pleurer, oui pleurer, lorsque vous étiez malade, la dernière fois. Eh bien ! comment reconnaissez-vous leurs bontés ? Vous les mettez dans la peine, vous partez comme une sournoise pour voir monsieur, tout en sachant que cela leur fera beaucoup de chagrin ; car ils ne peuvent pas aimer monsieur, qui était si dur pour vous… Tenez, voulez-vous que je vous le dise, madame ? le mariage ne vous a rien valu, vous avez pris la méchanceté de monsieur. Entendez-vous, il y a des jours où vous êtes aussi méchante que lui.

Elle continua ainsi jusqu’aux Tulettes, défendant les Faujas et les Trouche, accusant sa maîtresse de toutes sortes de vilenies. Elle finit par dire :

— Ce sont ces gens-là qui seraient de braves maîtres, s’ils avaient assez d’argent pour avoir des domestiques ! Mais la fortune ne tombe jamais qu’aux mauvais cœurs.

Marthe, plus calme, ne répondait pas. Elle regardait vaguement les arbres maigres filer le long de la route, les vastes champs se déplier comme des pièces d’étoffe brune.