Page:Emile Zola - La Conquête de Plassans.djvu/373

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
373
LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

campagne. Il la referma derrière lui, sans s’étonner, sans se presser.

— C’est une bonne femme tout de même, murmura-t-il ; elle aura entendu que je l’appelais… Il doit être tard. Je vais rentrer, pour qu’ils ne soient pas inquiets à la maison.

Il prit un chemin. Cela lui semblait naturel d’être en pleins champs. Au bout de cent pas, il oublia les Tulettes derrière lui ; il s’imagina qu’il venait de chez un vigneron auquel il avait acheté cinquante milleroles de vin. Comme il arrivait à un carrefour où se croisaient cinq routes, il reconnut le pays. Il se mit à rire, en disant :

— Que je suis bête ! j’allais monter sur le plateau, du côté de Saint-Eutrope ; c’est à gauche que je dois prendre… Dans une bonne heure et demie, je serai à Plassans.

Alors, il suivit la grand’route, gaillardement, regardant comme une vieille connaissance chaque borne kilométrique. Il s’arrêtait devant certains champs, devant certaines maisons de campagne, d’un air d’intérêt. Le ciel était couleur de cendre, avec de grandes traînées rosâtres, éclairant la nuit d’un pâle reflet de brasier agonisant. De fortes gouttes commençaient à tomber ; le vent soufflait de l’est, trempé de pluie.

— Diable ! il ne faut pas que je m’amuse, dit Mouret en examinant le ciel avec inquiétude ; le vent est à l’est, il va en tomber une jolie décoction ! Jamais je n’aurai le temps d’arriver à Plassans avant la pluie. Avec ça, je suis peu couvert.

Et il ramena sur sa poitrine la veste de grosse laine grise qu’il avait mise en lambeaux aux Tulettes. Il avait à la mâchoire une profonde meurtrissure, à laquelle il portait la main, sans se rendre compte de la vive douleur qu’il éprouvait là. La grand’route restait déserte ; il ne rencontra qu’une charrette, descendant une côte, d’une allure paresseuse. Le charretier, qui dormait, ne répondit pas au bonsoir amical qu’il lui jeta. Ce fut au pont de la Viorne