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LES ROUGON-MACQUART.

que la pluie le surprit. L’eau lui étant très désagréable, il descendit sous le pont se mettre à l’abri, en grondant que c’était insupportable, que rien n’abîmait les vêtements comme cela, que s’il avait su, il aurait emporté un parapluie. Il patienta une bonne demi-heure, s’amusant à écouter le ruissellement de l’eau ; puis, quand l’averse fut passée, il remonta sur la route, il entra enfin à Plassans. Il mettait un soin extrême à éviter les flaques de boue.

Il était alors près de minuit. Mouret calculait que huit heures ne devaient pas encore avoir sonné. Il traversa les rues vides, tout à l’ennui d’avoir fait attendre sa femme si longtemps.

— Elle ne doit plus savoir ce que cela veut dire, pensait-il. Le dîner sera froid… Ah ! bien, c’est Rose qui va joliment me recevoir !

Il était arrivé rue Balande ; il se tenait debout devant sa porte.

— Tiens ! dit-il, je n’ai pas mon passe-partout.

Cependant, il ne frappait pas. La fenêtre de la cuisine restait sombre, les autres fenêtres de la façade semblaient également mortes. Une grande défiance s’empara du fou ; avec un instinct tout animal, il flaira un danger. Il recula dans l’ombre des maisons voisines, examina encore la façade ; puis, il parut prendre un parti, fit le tour par l’impasse des Chevillottes. Mais la petite porte du jardin était fermée au verrou. Alors, avec une force prodigieuse, emporté par une rage brusque, il se jeta dans cette porte, qui se fendit en deux, rongée d’humidité. La violence du choc le laissa étourdi, ne sachant plus pourquoi il venait de briser la porte, qu’il essayait de raccommoder en rapprochant les morceaux.

— Voilà un beau coup, lorsqu’il était si facile de frapper ! murmura-t-il avec un regret subit. Une porte neuve me coûtera au moins trente francs.