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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

Il était dans le jardin. Ayant levé la tête, apercevant, au premier étage, la chambre à coucher vivement éclairée, il crut que sa femme se mettait au lit. Cela lui causa un grand étonnement. Sans doute il avait dormi sous le pont en attendant la fin de l’averse. Il devait être très tard. En effet, les fenêtres voisines, celles de M. Rastoil aussi bien que celles de la sous-préfecture, étaient noires. Et il ramenait les yeux, lorsqu’il vit une lueur de lampe, au second étage, derrière les rideaux épais de l’abbé Faujas. Ce fut comme un œil flamboyant, allumé au front de la façade, qui le brûlait. Il se serra les tempes entre ses mains brûlantes, la tête perdue, roulant dans un souvenir abominable, dans un cauchemar évanoui, où rien de net ne se formulait, où s’agitait, pour lui et les siens, la menace d’un péril ancien, grandi lentement, devenu terrible, au fond duquel la maison allait s’engloutir, s’il ne la sauvait.

— Marthe, Marthe, où es-tu ? balbutia-t-il à demi-voix. Viens, emmène les enfants.

Il chercha Marthe dans le jardin. Mais il ne reconnaissait plus le jardin. Il lui semblait plus grand, et vide, et gris, et pareil à un cimetière. Les buis avaient disparu, les laitues n’étaient plus là, les arbres fruitiers semblaient avoir marché. Il revint sur ses pas, se mit à genoux pour voir si ce n’était pas les limaces qui avaient tout mangé. Les buis surtout, la mort de cette haute verdure lui serrait le cœur, comme la mort d’un coin vivant de la maison. Qui donc avait tué les buis ? Quelle faux avait passé là, rasant tout, bouleversant jusqu’aux touffes de violettes qu’il avait plantées au pied de la terrasse ? Un sourd grondement montait en lui, en face de cette ruine.

— Marthe, Marthe, où es-tu ? appela-t-il de nouveau.

Il la chercha dans la petite serre, à droite de la terrasse. La petite serre était encombrée des cadavres séchés des grands buis ; ils s’empilaient, en fascines, au milieu de