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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

meuble de son salon, qu’elle venait justement de faire recouvrir. Cependant, quelques voisins s’étaient montrés aux fenêtres. Le président les appela et commença le déménagement de sa maison ; il se chargeait particulièrement des pendules, qu’il déposait sur le trottoir d’en face. Lorsqu’on eut sorti les fauteuils du salon, il fit asseoir sa femme et sa fille, tandis que le sous-préfet restait auprès d’elles, pour les rassurer.

— Tranquillisez-vous, mesdames, disait-il. La pompe va arriver, le feu sera attaqué vigoureusement… Je crois pouvoir vous promettre qu’on sauvera votre maison.

Les croisées des Mouret éclatèrent, les flammes parurent au premier étage. Brusquement, la rue fut éclairée par une grande lueur ; il faisait clair comme en plein jour. Un tambour, au loin, passait sur la place de la Sous-Préfecture, en battant le rappel. Des hommes accouraient, une chaîne s’organisait, mais les seaux manquaient, la pompe n’arrivait pas. Au milieu de l’effarement général, M. Péqueur des Saulaies, sans quitter les dames Rastoil, criait des ordres à pleine voix :

— Laissez le passage libre ! La chaîne est trop serrée là-bas ! Mettez-vous à deux pieds les uns des autres !

Puis, se tournant vers Aurélie, d’une voix douce :

— Je suis bien surpris que la pompe ne soit pas encore là… C’est une pompe neuve ; on va justement l’étrenner… J’ai pourtant envoyé le concierge tout de suite ; il a dû passer aussi à la gendarmerie.

Les gendarmes se montrèrent les premiers ; ils continrent les curieux, dont le nombre augmentait, malgré l’heure avancée. Le sous-préfet était allé en personne rectifier la chaîne, qui se bossuait au milieu des poussées de certains farceurs accourus du faubourg. La petite cloche de Saint-Saturnin sonnait le tocsin de sa voix fêlée ; un second tambour battait le rappel, plus languissamment, vers le bas de