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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

— On voit bien de nos fenêtres, je vous assure, dit-elle. Et, comme ces dames refusaient :

— Mais vous allez prendre froid, continua-t-elle ; la nuit est très-fraîche.

Madame de Condamin eut un sourire, en allongeant sur le pavé ses petits pieds, qu’elle montra au bord de sa jupe.

— Ah bien ! oui, nous n’avons pas froid ! répondit-elle. Moi, j’ai les pieds brûlants. Je suis très bien… Est-ce que vous avez froid, mademoiselle ?

— J’ai trop chaud, assura Aurélie. On dirait une nuit d’été. Ce feu-là chauffe joliment.

Tout le monde déclara qu’il faisait bon, et madame Paloque se décida alors à rester, à s’asseoir, elle aussi, dans un fauteuil. M. Maffre venait de partir ; il avait aperçu, au milieu de la foule, ses deux fils, en compagnie de Guillaume Porquier, accourus tous les trois, sans cravate, d’une maison des remparts, pour voir le feu. Le juge de paix, qui était certain de les avoir enfermés à double tour dans leur chambre, emmena Alphonse et Ambroise par les oreilles.

— Si nous allions nous coucher ? dit M. de Bourdeu, de plus en plus maussade.

M. Péqueur des Saulaies avait reparu, infatigable, n’oubliant pas les dames, malgré les soins de toutes sortes dont il était accablé. Il alla vivement au-devant de M. Delangre, qui revenait de l’impasse des Chevillottes. Ils causèrent à voix basse. Le maire avait dû assister à quelque scène épouvantable ; il se passait la main sur la face, comme pour chasser de ses yeux l’image atroce qui le poursuivait. Les dames l’entendirent seulement murmurer : « Nous sommes arrivés trop tard ! C’est horrible, horrible !… » Il ne voulut répondre à aucune question.