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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

de la ville neuve, avec des rosaces sculptées à chaque étage. Un domestique en habit bleu les reçut dans le vestibule ; il sourit à l’abbé Bourrette en lui enlevant la douillette, et parut très-surpris à la vue de l’autre abbé, de ce grand diable taillé à coups de hache, sorti sans manteau par un froid pareil. Le salon était au premier étage.

L’abbé Faujas entra, la tête haute, avec une aisance grave ; tandis que l’abbé Bourrette, très ému lorsqu’il venait chez les Rougon, bien qu’il ne manquât pas une de leurs soirées, se tirait d’affaire en s’échappant dans une pièce voisine. Lui, traversa lentement tout le salon pour aller saluer la maîtresse de la maison, qu’il avait devinée au milieu d’un groupe de cinq ou six dames. Il dut se présenter lui-même ; il le fit en trois paroles. Félicité s’était levée vivement. Elle l’examinait des pieds à la tête, d’un œil prompt, revenant au visage, lui fouillant les yeux de son regard de fouine, tout en murmurant avec un sourire :

— Je suis charmée, monsieur l’abbé, je suis vraiment charmée…

Cependant le passage du prêtre, au milieu du salon, avait causé un étonnement. Une jeune femme, ayant levé brusquement la tête, eut même un geste contenu de terreur, en apercevant cette masse noire devant elle. L’impression fut défavorable : il était trop grand, trop carré des épaules ; il avait la face trop dure, les mains trop grosses. Sous la lumière crue du lustre, sa soutane apparut si lamentable, que les dames eurent une sorte de honte à voir un abbé si mal vêtu. Elles ramenèrent leurs éventails, elles se remirent à chuchoter, en affectant de tourner le dos. Les hommes avaient échangé des coups d’œil, avec une moue significative.

Félicité sentit le peu de bienveillance de cet accueil. Elle en sembla irritée ; elle resta debout au milieu du salon, haussant le ton, forçant ses invités à entendre les compliments qu’elle adressait à l’abbé Faujas.