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LES ROUGON-MACQUART.

blesse est indécrottable ; il n’y a de tolérable que quelques parvenus, des gens charmants qui font beaucoup de frais pour les hommes en place. Notre petit monde de fonctionnaires est très-heureux. Nous vivons entre nous, à notre guise, sans nous soucier des habitants, comme si nous avions planté notre tente en pays conquis.

Il eut un rire de satisfaction, s’allongeant davantage, présentant ses semelles à la flamme ; puis, il prit un verre de punch sur le plateau d’un domestique qui passait, but lentement, tout en continuant à regarder l’abbé Faujas du coin de l’œil. Celui-ci sentit que la politesse exigeait qu’il trouvât une phrase.

— Cette maison paraît fort agréable, dit-il en se tournant à demi vers le salon vert, où les conversations s’animaient.

— Oui, oui, répondit M. de Condamin, qui s’arrêtait de temps à autre pour avaler une petite gorgée de punch ; les Rougon nous font oublier Paris. On ne se croirait jamais à Plassans, ici. C’est le seul salon où l’on s’amuse, parce que c’est le seul où toutes les opinions se coudoient… Péqueur a également des réunions fort aimables… Ça doit leur coûter bon, aux Rougon, et ils ne touchent pas des frais de bureau comme Péqueur ; mais ils ont mieux que ça, ils ont les poches des contribuables.

Cette plaisanterie l’enchanta. Il posa sur la cheminée le verre vide qu’il tenait à la main ; et, se rapprochant, se penchant :

— Ce qu’il y a d’amusant, ce sont les comédies continuelles qui se jouent. Si vous connaissiez les personnages !… Vous voyez madame Rastoil là-bas, au milieu de ses deux filles, cette dame de quarante-cinq ans environ, celle qui a cette tête de brebis bêlante… Eh bien ! avez-vous remarqué le battement de ses paupières, lorsque Delangre est venu s’asseoir en face d’elle ? ce monsieur qui a l’air d’un poli-