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LES ROUGON-MACQUART.

de la Banne ici ; nous n’avons pas mis trois minutes. Il marchait à côté de moi, sans me donner le bras ; il faisait de si grandes enjambées, que j’étais presque forcée de courir… Je ne sais ce qu’on a, à s’acharner ainsi après lui. Il n’a pas l’air heureux. Il grelottait, le pauvre homme, dans sa vieille soutane.

Mouret n’était pas méchant.

— Ça, c’est vrai, murmura-t-il ; il ne doit pas avoir chaud, depuis qu’il gèle.

— Puis, continua Marthe, nous n’avons pas à nous plaindre de lui : il paye exactement, il ne fait pas de tapage… Où trouverais-tu un aussi bon locataire ?

— Nulle part, je le sais… Ce que j’en disais, tout à l’heure, c’était pour te montrer combien peu tu fais attention, quand tu vas quelque part. Autrement, je connais trop la clique que ta mère reçoit, pour m’arrêter à ce qui sort du fameux salon vert. Toujours des cancans, des menteries, des histoires bonnes à faire battre les montagnes. L’abbé n’a sans doute étranglé personne, pas plus qu’il ne doit avoir fait banqueroute… Je le disais à madame Paloque : « Avant de déshabiller les autres, on ferait bien de laver son propre linge sale. » Tant mieux, si elle a pris cela pour elle !

Mouret mentait, il n’avait pas dit cela à madame Paloque. Mais la douceur de Marthe lui faisait quelque honte de la joie qu’il venait de témoigner, au sujet des malheurs de l’abbé. Les jours suivants, il se mit nettement du côté du prêtre. Ayant rencontré plusieurs personnages qu’il détestait, M. de Bourdeu, M. Delangre, le docteur Porquier, il leur fit un magnifique éloge de l’abbé Faujas, pour ne pas dire comme eux, pour les contrarier et les étonner. C’était, à l’entendre, un homme tout à fait remarquable, d’un grand courage, d’une grande simplicité dans la pauvreté. Il fallait qu’il y eût vraiment des gens bien méchants. Et il glissait des allusions sur les personnes que recevaient les Rougon,