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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

un tas d’hypocrites, de cafards, de sots vaniteux, qui craignaient l’éclat de la véritable vertu. Au bout de quelque temps, il avait fait absolument sienne la querelle de l’abbé, il se servait de lui pour assommer la bande des Rastoil et la bande de la sous-préfecture.

— Si cela n’est pas pitoyable ! disait-il parfois à sa femme, oubliant que Marthe avait entendu un autre langage dans sa bouche ; voir des gens qui ont volé leur fortune on ne sait où, s’acharner ainsi après un pauvre homme qui n’a pas seulement vingt francs pour s’acheter une charretée de bois !… Non, vois-tu, ces choses-là me révoltent. Moi, que diable ! je puis me porter garant pour lui. Je sais ce qu’il fait, je sais comment il est, puisqu’il habite chez moi. Aussi je ne leur mâche pas la vérité, je les traite comme ils le méritent, lorsque je les rencontre… Et je ne m’en tiendrai pas là. Je veux que l’abbé devienne mon ami. Je veux le promener à mon bras, sur le cours, pour montrer que je ne crains pas d’être vu avec lui, tout honnête homme et tout riche que je suis… D’abord, je te recommande d’être très aimable pour ces pauvres gens.

Marthe souriait discrètement. Elle était heureuse des bonnes dispositions de son mari à l’égard de leurs locataires. Rose reçut l’ordre de se montrer complaisante. Le matin, quand il pleuvait, elle pouvait s’offrir pour faire les commissions de madame Faujas. Mais celle-ci refusa toujours l’aide de la cuisinière. Cependant, elle n’avait plus la raideur muette des premiers temps. Un matin, ayant rencontré Marthe, qui descendait du grenier où l’on conservait les fruits, elle causa un instant, elle s’humanisa même jusqu’à accepter deux superbes poires. Ce furent ces deux poires qui devinrent l’occasion d’une liaison plus étroite.

L’abbé Faujas, de son côté, ne filait plus si rapidement le long de la rampe. Le frôlement de sa soutane sur les marches avertissait Mouret, qui, presque chaque jour mainte-