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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

au milieu d’un rire, elle s’arrêtait brusquement, en apercevant sa soutane ; elle s’arrêtait, embarrassée, étonnée de parler ainsi avec un homme qui n’était pas comme les autres. L’intimité fut longue à s’établir entre eux.

Jamais l’abbé Faujas n’interrogea nettement Marthe sur son mari, ses enfants, sa maison. Peu à peu, il n’en pénétra pas moins dans les plus minces détails de leur histoire et de leur existence actuelle. Chaque soir, pendant que Mouret et madame Faujas se battaient rageusement, il apprenait quelque fait nouveau. Une fois, il fit la remarque que les deux époux se ressemblaient étonnamment.

— Oui, répondit Marthe avec un sourire ; quand nous avions vingt ans, on nous prenait pour le frère et la sœur. C’est même un peu ce qui a décidé notre mariage ; on plaisantait, on nous mettait toujours à côté l’un de l’autre, on disait que nous ferions un joli couple. La ressemblance était si frappante que le digne monsieur Compan, qui pourtant nous connaissait, hésitait à nous marier.

— Mais vous êtes cousin et cousine ? demanda le prêtre.

— En effet, dit-elle en rougissant légèrement, mon mari est un Macquart, moi je suis une Rougon.

Elle se tut un instant, gênée, devinant que le prêtre connaissait l’histoire de sa famille, célèbre à Plassans. Les Macquart étaient une branche bâtarde des Rougon.

— Le plus singulier, reprit-elle pour cacher son embarras, c’est que nous ressemblons tous les deux à notre grand-mère. La mère de mon mari lui a transmis cette ressemblance, tandis que, chez moi, elle s’est reproduite à distance. On dirait qu’elle a sauté par-dessus mon père.

Alors l’abbé cita un exemple semblable dans sa famille. Il avait une sœur qui était, paraissait-il, le vivant portrait du grand-père de sa mère. La ressemblance, dans ce cas, avait sauté deux générations. Et sa sœur rappelait en tout le bon-