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LES ROUGON-MACQUART.

homme par son caractère, les habitudes, jusqu’aux gestes et au son de la voix.

— C’est comme moi, dit Marthe, j’entendais dire, quand j’étais petite : « C’est tante Dide tout craché. » La pauvre femme est aujourd’hui aux Tulettes ; elle n’avait jamais eu la tête bien forte… Avec l’âge, je suis devenue tout à fait calme, je me suis mieux portée ; mais, je me souviens, à vingt ans, je n’étais guère solide, j’avais des vertiges, des idées baroques. Tenez, je ris encore, quand je pense quelle étrange gamine je faisais.

— Et votre mari ?

— Oh ! lui tient de son père, un ouvrier chapelier, une nature sage et méthodique… Nous nous ressemblions de visage ; mais pour le dedans, c’était autre chose… À la longue, nous sommes devenus tout à fait semblables. Nous étions si tranquilles, dans nos magasins de Marseille ! J’ai passé là quinze années qui m’ont appris à être heureuse, chez moi, au milieu de mes enfants.

L’abbé Faujas, chaque fois qu’il la mettait sur ce sujet, sentait en elle une légère amertume. Elle était certainement heureuse, comme elle le disait ; mais il croyait deviner d’anciens combats dans cette nature nerveuse, apaisée aux approches de la quarantaine. Et il s’imaginait ce drame, cette femme et ce mari, parents de visage, que toutes leurs connaissances jugeaient faits l’un pour l’autre, tandis que, au fond de leur être, le levain de la bâtardise, la querelle des sangs mêlés et toujours révoltés, irritaient l’antagonisme de deux tempéraments différents. Puis, il s’expliquait les détentes fatales d’une vie réglée, l’usure des caractères par les soucis quotidiens du commerce, l’assoupissement de ces deux natures dans cette fortune gagnée en quinze années, mangée modestement au fond d’un quartier désert de petite ville. Aujourd’hui, bien qu’ils fussent encore jeunes tous les deux, il ne semblait plus y avoir en eux que des