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LA CONQUÊTE DE PLASSANS.

cendres. L’abbé essaya habilement de savoir si Marthe était résignée. Il la trouvait très-raisonnable.

— Non, disait-elle, je me plais chez moi ; mes enfants me suffisent. Je n’ai jamais été très-gaie. Je m’ennuyais un peu, voilà tout ; il m’aurait fallu une occupation d’esprit que je n’ai pas trouvée… Mais à quoi bon ? Je me serais peut-être cassé la tête. Je ne pouvais seulement pas lire un roman, sans avoir des migraines affreuses ; pendant trois nuits, tous les personnages me dansaient dans la cervelle… Il n’y a que la couture qui ne m’a jamais fatiguée. Je reste chez moi, pour éviter tous ces bruits du dehors, ces commérages, ces niaiseries qui me fatiguent.

Elle s’arrêtait parfois, regardait Désirée endormie sur la table, souriant dans son sommeil de son sourire d’innocente.

— Pauvre enfant ! murmurait-elle, elle ne peut pas même coudre, elle a des vertiges tout de suite… Elle n’aime que les bêtes. Quand elle va passer un mois chez sa nourrice, elle vit dans la basse-cour, et elle me revient les joues roses, toute bien portante.

Et elle reparlait souvent des Tulettes, avec une peur sourde de la folie. L’abbé Faujas sentit ainsi un étrange effarement, au fond de cette maison si paisible. Marthe aimait certainement son mari d’une bonne amitié ; seulement, il entrait dans son affection une crainte des plaisanteries de Mouret, de ses taquineries continuelles. Elle était aussi blessée de son égoïsme, de l’abandon où il la laissait ; elle lui gardait une vague rancune de la paix qu’il avait faite autour d’elle, de ce bonheur dont elle se disait heureuse. Quand elle parlait de son mari, elle répétait :

— Il est très-bon pour nous… Vous devez l’entendre crier quelquefois ; c’est qu’il aime l’ordre en toutes choses, voyez-vous, jusqu’à en être ridicule, souvent ; il se fâche pour un pot de fleurs dérangé dans le jardin, pour