Page:Emile Zola - La Curée.djvu/15

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
15
LA CURÉE

fus, tout ce qu’un retour du Bois, à l’heure où le ciel pâlit, peut mettre d’exquis et de monstrueux dans le cœur lassé d’une femme. Elle tenait ses deux mains enfouies dans la peau d’ours, elle avait très chaud sous son paletot de drap blanc, aux revers de velours mauve. Comme elle allongeait un pied, pour se détendre dans son bien-être, elle frôla de sa cheville la jambe tiède de Maxime, qui ne prit même pas garde à cet attouchement. Une secousse la tira de son demi-sommeil. Elle leva la tête, regardant étrangement de ses yeux gris le jeune homme vautré en toute élégance.

À ce moment, la calèche sortit du Bois. L’avenue de l’Impératrice s’allongeait toute droite dans le crépuscule, avec les deux lignes vertes de ses barrières de bois peint, qui allaient se toucher à l’horizon. Dans la contre-allée réservée aux cavaliers, un cheval blanc, au loin, faisait une tache claire trouant l’ombre grise. Il y avait, de l’autre côté, le long de la chaussée, çà et là, des promeneurs attardés, des groupes de points noirs, se dirigeant doucement vers Paris. Et tout en haut, au bout de la traînée grouillante et confuse des voitures, l’Arc-de-Triomphe, posé de biais, blanchissait sur un vaste pan de ciel couleur de suie.

Tandis que la calèche remontait d’un trot plus vif, Maxime, charmé de l’allure anglaise du paysage, regardait, aux deux côtés de l’avenue, les hôtels, d’architecture capricieuse, dont les pelouses descendent jusqu’aux contre-allées ; Renée, dans sa songerie, s’amusait à voir, au bord de l’horizon, s’allumer un à un les becs de gaz de la place de l’Étoile, et à mesure que ces lueurs vives tachaient le jour mourant de petites flammes jaunes, elle croyait entendre des appels secrets, il lui sem-