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LA CURÉE

riches. Mais ils lèvent les épaules quand je leur parle de cette dette de trois milliards, vous savez ?… J’ai bon espoir, pourtant. Il y a dix ans que je veux faire un voyage en Angleterre. J’ai si peu de temps à moi !… Enfin je me suis décidée à écrire à Londres, et j’attends la réponse.

Et comme la jeune femme souriait :

— Je sais, vous êtes une incrédule, vous aussi. Cependant vous seriez bien contente, si je vous faisais cadeau, un de ces jours, d’un joli petit million… Allez, l’histoire est toute simple : c’est un banquier de Paris qui prêta l’argent au fils du roi d’Angleterre, et, comme le banquier mourut sans héritier naturel, l’État peut aujourd’hui exiger le remboursement de la dette, avec les intérêts composés. J’ai fait le calcul, ça monte à deux milliards neuf cent quarante-trois millions deux cent dix mille francs… N’ayez pas peur, ça viendra, ça viendra.

— En attendant, dit la jeune femme avec une pointe d’ironie, vous devriez bien me faire prêter cent mille francs… Je pourrais payer mon tailleur qui me tourmente beaucoup.

— Cent mille francs se trouvent, répondit tranquillement Mme Sidonie. Il ne s’agit que d’y mettre le prix.

Le brasier luisait ; Renée, plus languissante, allongeait ses jambes, montrait le bout de ses pantoufles, au bord de son peignoir. La courtière reprit sa voix apitoyée.

— Pauvre chère, vous n’êtes vraiment pas raisonnable… Je connais beaucoup de femmes, mais je n’en ai jamais vu une aussi peu soucieuse de sa santé. Tenez, cette petite Michelin, c’est elle qui sait s’arranger ! Je