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LES ROUGON-MACQUART

songe à vous, malgré moi, quand je la vois heureuse et bien portante… Savez-vous que M. de Saffré en est amoureux fou et qu’il lui a déjà donné pour près de dix mille francs de cadeaux ? Je crois que son rêve est d’avoir une maison de campagne.

Elle s’animait, elle cherchait sa poche.

— J’ai là encore une lettre d’une pauvre jeune femme… Si nous avions de la lumière, je vous la ferais lire… Imaginez-vous que son mari ne s’occupe pas d’elle. Elle avait signé des billets, elle a été obligée d’emprunter à un monsieur que je connais. C’est moi qui ai retiré les billets des griffes des huissiers, et ça n’a pas été sans peine… Ces pauvres enfants, croyez-vous qu’ils font le mal ? Je les reçois chez moi, comme s’ils étaient mon fils et ma fille.

— Vous connaissez un prêteur ? demanda négligemment Renée.

— J’en connais dix… Vous êtes trop bonne. Entre femmes, n’est-ce pas ? on peut se dire bien des choses, et ce n’est pas parce que votre mari est mon frère que je l’excuserai de courir les gueuses et de laisser se morfondre au coin du feu un amour de femme comme vous… Cette Laure d’Aurigny lui coûte les yeux de la tête. Ça ne m’étonnerait pas qu’il vous eût refusé de l’argent. Il vous en a refusé, n’est-ce pas ?… Ô le malheureux !

Renée écoutait complaisamment cette voix molle qui sortait de l’ombre, comme l’écho encore vague de ses propres songeries. Les paupières demi-closes, presque couchée dans son fauteuil, elle ne savait plus que Mme Sidonie était là, elle croyait rêver que de mauvaises pensées lui venaient et la tentaient avec une grande