Page:Emile Zola - La Curée.djvu/264

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
264
LES ROUGON-MACQUART

rappelait le négoce de madame de Lauwerens, que les maris célébraient pour sa bonne conduite, son ordre, son exactitude à payer ses fournisseurs. Elle nommait madame Daste, madame Teisseire, la baronne de Meinhold, ces créatures dont les amants payaient le luxe, et qui étaient cotées dans le beau monde comme des valeurs à la Bourse. Madame de Guende était tellement bête et tellement bien faite, qu’elle avait pour amants trois officiers supérieurs à la fois, sans pouvoir les distinguer, à cause de leur uniforme ; ce qui faisait dire à ce démon de Louise qu’elle les forçait d’abord à se mettre en chemise, pour savoir auquel des trois elle parlait. La comtesse Vanska, elle, se souvenait des cours où elle avait chanté, des trottoirs le long desquels on prétendait l’avoir revue, vêtue d’indienne, rôdant comme une louve. Chacune de ces femmes avait sa honte, sa plaie étalée et triomphante. Puis, les dominant toutes, la duchesse de Sternich se dressait, laide, vieillie, lassée, avec la gloire d’avoir passé une nuit dans le lit impérial ; c’était le vice officiel, elle en gardait comme une majesté de la débauche et une souveraineté sur cette bande d’illustres coureuses.

Alors, l’incestueuse s’habituait à sa faute comme à une robe de gala dont les roideurs l’auraient d’abord gênée. Elle suivait les modes de l’époque, elle s’habillait et se déshabillait à l’exemple des autres. Elle finissait par croire qu’elle vivait au milieu d’un monde supérieur à la morale commune, où les sens s’affinaient et se développaient, où il était permis de se mettre nue pour la joie de l’Olympe entier. Le mal devenait un luxe, une fleur piquée dans les cheveux, un diamant attaché sur le front. Et elle revoyait, comme une justification et une