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LA CURÉE

habits, de façon à s’en cacher le derrière de la tête. Cette opération s’accomplit au milieu d’une gaieté folle. Bossus, les épaules serrées, avec les pans des habits qui ne leur tombaient plus qu’à la taille, les cavaliers étaient vraiment affreux.

— Ne riez pas, mesdames, criait M. de Saffré avec un sérieux des plus comiques, ou je vous fais mettre vos dentelles sur la tête.

La gaieté redoubla. Et il usa énergiquement de sa souveraineté vis-à-vis de quelques-uns de ces messieurs qui ne voulaient pas cacher leur nuque.

— Vous êtes les « points noirs, » disait-il ; masquez vos têtes, ne montrez que le dos, il faut que ces dames ne voient plus que du noir… Maintenant, marchez, mêlez-vous les uns aux autres, pour qu’on ne vous reconnaisse pas.

L’hilarité était à son comble. Les « points noirs » allaient et venaient, sur leurs jambes grêles, avec des balancements de corbeaux sans tête. On vit la chemise d’un monsieur, avec le coin de la bretelle. Alors ces dames demandèrent grâce, elles étouffaient, et M. de Saffré voulut bien leur ordonner d’aller chercher les « points noirs. » Elles partirent, comme un vol de jeunes perdrix, avec un grand bruit de jupes. Puis, au bout de sa course, chacune saisit le cavalier qui lui tomba sous la main. Ce fut un tohu-bohu inexprimable. Et, à la file, les couples improvisés se dégageaient, faisaient le tour du salon en valsant, dans le chant plus haut de l’orchestre.

Renée s’était appuyée au mur. Elle regardait, pâle, les lèvres serrées. Un vieux monsieur vint lui demander galamment pourquoi elle ne dansait pas. Elle dut sou-