Page:Emile Zola - La Curée.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


VII


Trois mois plus tard, par une de ces tristes matinées de printemps qui ramènent dans Paris le jour bas et l’humidité sale de l’hiver, Aristide Saccard descendait de voiture, place du Château-d’Eau, et s’engageait, avec quatre autres messieurs, dans la trouée de démolitions que creusait le futur boulevard du Prince-Eugène. C’était une commission d’enquête que le jury des indemnités envoyait sur les lieux pour estimer certains immeubles, dont les propriétaires n’avaient pu s’entendre à l’amiable avec la Ville.

Saccard renouvelait le coup de fortune de la rue de la Pépinière. Pour que le nom de sa femme disparût complètement, il imagina d’abord une vente des terrains et du café-concert. Larsonneau céda le tout à un créancier supposé. L’acte de vente portait le chiffre colossal de trois millions. Ce chiffre était tellement exorbitant que la commission de l’Hôtel de Ville, lorsque l’agent d’expropriation, au nom du propriétaire imaginaire, réclama le prix d’achat pour indemnité, ne voulut jamais accorder plus de deux millions cinq cent mille francs, malgré le sourd travail de M. Michelin et les plaidoyers de M. Toutin-Laroche et du baron Gouraud. Saccard s’attendait à cet échec ; il refusa l’offre, il laissa le dossier aller devant le jury, dont il faisait justement partie avec M. de