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LES ROUGON-MACQUART

Mareuil, par un hasard qu’il devait avoir aidé. Et c’était ainsi qu’il se trouvait chargé, avec quatre de ses collègues, de faire une enquête sur ses propres terrains.

M. de Mareuil l’accompagnait. Sur les trois autres jurés, il y avait un médecin qui fumait un cigare, sans se soucier le moins du monde des plâtras qu’il enjambait, et deux industriels, dont l’un, fabricant d’instruments de chirurgie, avait anciennement tourné la meule dans les rues.

Le chemin où ces messieurs s’engagèrent était affreux. Il avait plu toute la nuit. Le sol détrempé devenait un fleuve de boue, entre les maisons écroulées, sur cette route tracée en pleines terres molles, où les tombereaux de transport entraient jusqu’aux moyeux. Aux deux côtés, des pans de murs, crevés par la pioche, restaient debout ; de hautes bâtisses éventrées, montrant leurs entrailles blafardes, ouvraient en l’air leurs cages d’escalier vides, leurs chambres béantes, suspendues, pareilles aux tiroirs brisés de quelque grand vilain meuble. Rien n’était plus lamentable que les papiers peints de ces chambres, des carrés jaunes ou bleus qui s’en allaient en lambeaux, indiquant, à une hauteur de cinq et six étages, jusque sous les toits, de pauvres petits cabinets, des trous étroits, où toute une existence d’homme avait peut-être tenu. Sur les murailles dénudées, les rubans des cheminées montaient côte à côte, avec des coudes brusques, d’un noir lugubre. Une girouette oubliée grinçait au bord d’une toiture, tandis que des gouttières à demi détachées pendaient, pareilles à des guenilles. Et la trouée s’enfonçait toujours, au milieu de ces ruines, pareille à une brèche que le canon aurait ouverte ; la chaussée, encore à peine indiquée, emplie de décombres, avait des bosses