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LES ROUGON-MACQUART.

était honteuse d’elle et de son père. Elle courait se cacher au fond d’une écurie pour sangloter à l’aise, comprenant que, si l’on voyait ses larmes, on la martyriserait davantage. Et quand elle avait bien pleuré, elle allait baigner ses yeux dans la cuisine, elle reprenait son visage muet. Ce n’était pas son intérêt seul qui la faisait se cacher ; elle poussait l’orgueil de ses forces précoces jusqu’à ne plus vouloir paraître une enfant. À la longue, tout devait s’aigrir en elle. Elle fut heureusement sauvée, en retrouvant les tendresses de sa nature aimante.

Le puits qui se trouvait dans la cour de la maison habitée par tante Dide et Silvère était un puits mitoyen. Le mur du Jas-Meiffren le coupait en deux. Anciennement, avant que l’enclos des Fouque fut réuni à la grande propriété voisine, les maraîchers se servaient journellement de ce puits. Mais depuis l’achat du terrain, comme il était éloigné des communs, les habitants du Jas, qui avaient à leur disposition de vastes réservoirs, n’y puisaient pas un seau d’eau dans un mois. De l’autre côté, au contraire, chaque matin, on entendait grincer la poulie ; c’était Silvère qui tirait pour tante Dide l’eau nécessaire au ménage.

Un jour, la poulie se fendit. Le jeune charron tailla lui-même une belle et forte poulie de chêne qu’il posa le soir, après sa journée. Il lui fallut monter sur le mur. Quand il eut fini son travail, il resta à califourchon sur le chaperon du mur, se reposant, regardant curieusement la large étendue du Jas-Meiffren. Une paysanne qui arrachait les mauvaises herbes à quelques pas de lui finit par fixer son attention. On était en juillet, l’air brûlait, bien que le soleil fût déjà au bord de l’horizon. La paysanne avait retiré sa casaque. En corset blanc, un fichu de couleur noué sur les épaules, les manches de chemise retroussées jusqu’aux coudes, elle était accroupie dans les plis de sa jupe de cotonnade bleue, que retenaient deux bretelles croisées derrière